mardi 31 octobre 2023

Mercredi 15 novembre – 20h30 - local La Commune - Causerie Populaire autour de l’ouvrage « Lettre aux ingénieurs qui doutent » d’Olivier Lefebvre

 

Causerie sur « Lettre aux ingénieurs qui doutent » 

La causerie du 15/11/2023 en 4 vidéos

https://youtu.be/1zstoF8MKI8?si=Z6Gyi9W8Qs49E5bS

https://youtu.be/MmCnAqj8y9E?si=aoELJC7YXVQDZNiz

https://youtu.be/xz4x3gt0V0U?si=nIGg_dkPnE-XSqVp

https://youtu.be/tPDiiXEY0Hk?si=T6VJc8FavQ9seAB2

Le texte de présentation de l'ouvrage ici

////

Mi 2023, Olivier Lefebvre écrit sa «Lettre aux ingénieurs qui doutent »  édité à « l’Echappée »

Bon nombre d’ingénieurs sont selon lui en « dissonance cognitive » entre d’un côté leurs valeurs individuelles et leur rôle professionnel - structurant pour la mise en place des infrastructures capitalistes responsables du désastre environnemental en cours.

Ancien ingénieur en robotique, l’auteur s’essaye à une réflexion pour inciter les ingénieurs qui doutent à déserter, et tous les autres à enfin commencer à douter.

Dans la foulée des mouvements de désertion des diplômées de grandes écoles, mouvements médiatisés depuis quelque temps, il s’agirait maintenant de s’adresser aux acteurs réels impliqués dans la fabrication du désastre, de les interpeller pour qu’enfin une prise de conscience collective, politique donc, puisse émerger.

 

Un militant du groupe La Sociale évoquera sa lecture critique de l’ouvrage; en quoi il ouvre des perspectives politiques sur un futur autre que techno-capitaliste

Il sera également question, du point de vue de ce militant, des limites de l’ouvrage, toujours dans l'objectif de faire avancer la réflexion puis l'action en vue de changer la société sur des bases égalitaires et libertaires.

 

L’objectif de cette causerie est de faire émerger des questionnements et des discussions sur les fonctions sociales que le capitalisme nous fait jouer – et celles que nous pourrions inventer

Mercredi 15 novembre – 20h30 - local La Commune

//////// Ci-dessous le texte de la causerie augmenté de commentaires sur le coeur de l'ouvrage ///////

Lettre aux ingénieurs qui doutent – Causerie – local la commune - Novembre 2023

/////////

Plan :

1.       INTRO :

·         Qui je suis / qui est la FA ?

·         Présentation synthétique de l’ouvrage / présentation de l’auteur

2.       Déroulé du livre :

a.       Quel est l’énoncé du problème ? La dissonance cognitive

b.       Typologies de l’ingénieur : comment fonctionne un ingénieur et pourquoi lui est-il difficile de déserter ?

c.       L’aliénation dans l’entreprise

3.       Conclusion de l’ouvrage : ouverture vers un autre usage des techniques et des sciences

4.       Mise au point voire Désaccord sur les moyens d’action

///

Je ne parlerais dans la causerie des textes en italique que si je dispose de suffisamment de temps

Le texte en jaune surligné constitue mes commentaires au texte/propos de l’auteur

//////// INTRO ////

Olivier Lefebvre mai 2023 – l’échappée, ingénieur en robotique jusque 2019

Intro :

Mouvance des déserteurs (+ que bifurqueurs)

Cherche à convaincre ses anciens collègues qu’ils peuvent /doivent eux aussi quitter leur boulot

Pourquoi :

Le rôle/la fonction de l’ingénieur est d’être au service du capitalisme industriel, qui est la cause des pbs environnementaux ….

Quels arguments l’auteur a-t-il pour convaincre ?

Lui suffit-il de déserter individuellement / souhaite il créer un grand mvt collectif ?

Et si oui quelles en seraient les suites ?

Quel projet de société et à quoi les ingénieurs peuvent-ils y servir?

Ici au local la commune et à la FA on ne s’adresse pas exclusivement à des ingénieurs mais il nous semble à la FA intéressant d’aborder l’analyse de ce livre car il apporte des questionnements sur la science, l’usage de la technologie, le développement du capitalisme, et les modalités de vie en commun dans une société post-capitaliste. Ces questions politiques intéressent donc ou devraient intéresser l’ensemble du corps social.

J’ajouterais certains de mes commentaires politiques au propos de l’auteur et les indiquerait comme tels à ce moment-là. Après la conclusion de l’ouvrage, j’aimerais aborder à la fin de mon intervention le propos des modalités d’action qui se posent en complément voire en opposition nette avec le point de vue de l’auteur.


 

XXX Déroulé du livre :

 

Mi 2023 il écrit ce livre pour ses amis, collègues… eux aussi victimes de dissonance cognitive par rapport à la responsabilité qu’ils estiment être la leur dans l’état actuel du monde

Il souhaite leur donner des arguments pour quitter ce qu’il appelle une cage dorée (en couverture de l’ouvrage), tout en se posant la question de pourquoi il n’y a pas plus de déserteurs dans l’ingénierie.

 

Olivier Lefèvre commence son livre en évoquant son parcours d’étude. A noter qu’il ne dit pas de quel milieu social il est issu, ni quelles activités ses parents exercent/aient. C’est en tant qu’ingénieur qu’il s’adresse à des ingénieurs. En général on parle des ingénieurs comme étant tous ceux qui ont effectivement un diplôme d’ingénieur. Il en parle comme d’un groupe social globalement homogène, qui est pourtant assez contrasté, de par le classement des formations, l’origine sociale de ses membres et de leurs activités professionnelles effectives

De fait tous les diplômés ingénieurs ne font pas un travail d’ingénieur, les « bullshits jobs » évoqués par David Graber étant légion en particulier dans les tâches d’organisation bureaucratiques des entreprises.

En 2019 vit un choc émotionnel personnel qui arrive au moment du mouvement des gilets jaunes qui fut pour Lefebvre , la goutte d’eau qui le fait déserter. L’auteur fut alors particulièrement sensible à cette expression de colère et refus de se soumettre à un ordre établi profondément injuste, qui faisait écho à ce qu’il ressentait lui aussi quand il tentait d’exprimer sa colère d’une certaine façon jugée non convenable. Il réalise qu’il a un problème avec le capitalisme et souhaiterait mettre en avant sa part de créativité voire de poésie qu’il avait dû réfréner pdt ses études.

Après avoir quitté le milieu professionnel de l’ingénierie en 2019, il obtient un Master "Philosophie, psychanalyse et économie politique"

L’auteur indique que les ingénieurs jouent un rôle structurant pour nos sociétés, concepteurs d’infrastructures techniques qui façonnent les mécanismes sociaux.

ð  A ce stade on pourrait se questionner sur le caractère corporatiste de l’initiative de Olivier Lefebvre puisqu’ il semble considérer que cette catégorie professionnelle serait amenée à jouer un rôle social plus central que d’autres dans la société. D’autre part, ne serait pas indécent de se focaliser sur les états d’âme de salariés plutôt bien rémunérés alors que quantité de prolétaires n’ont pas le luxe de pouvoir se poser la question de changer de travail. En quoi le rôle social de l’ingénieur serait donc plus important que celui d’autres métiers/professions ? En effet, on garde à l’esprit aussi que la pandémie de COVID a démontré que les métiers les plus essentiels à la bonne marche de la société (médico-social, éducation…) sont aussi les plus dévalorisés.

Olivier L. précise alors que dans tous les cas, si la question se pose pour qq1 des 800.000 ingénieurs français de quitter leur activité– au service du devpt du capitalisme industriel –  pour les mettre au service d’autres logiques, il convient de les aider à franchir le pas.

 

Dans le 1° chapitre, Lefebvre s’étend sur le concept issu de la psychologie sociale de dissonance cognitive, dont les ingénieurs seraient victimes. Il s’agit de l’alignement des valeurs de l’individu avec ses actes.

ð  A ce stade, on pourrait dire qu’ils ne sont pas si nombreux ceux qui évoquent un questionnement sur leur rôle social. On peut supposer que si c’est le cas, c’est aussi parce que les individus sont à l’image de la société dans laquelle ils vivent :! Dans une société de + en + déshumanisée, sans altruisme ni empathie, il semble naturel que la question politique du sens du travail des ingénieurs ne se pose que rarement pour la plupart d’entre eux, surtout si les structures de contestation sociales au sein de l’entp sont anémiées.

En cas de dissonance cognitive, il s’agit pour résoudre ce dilemme soit d’adapter ses actes aux pensées, soit de se chercher des justifications ou encore de rationaliser son comportement

L’auteur suggère que le nombre d’ingénieurs dissonant est plus élevé que celui que l’on croit. Pour lui l’ingénieur est sourd aux explications socio-historiques qui permettent d’expliquer que les choix techniques faits sont la suite logique de décisions politiques, économiques, militaires. En revanche, si l’ingénieur analyse avec recul les conséquences de son travail, il fera le constat cruel qu’il est un rouage d’une machinerie infernale. Il faudrait donc amener l’ingénieur à réfléchir au sens de son travail et aux conséquences liées à l’usage qui est fait des technologies qu’il a participer à développer.

ð  Les décideurs du monde de l’entp ont bien saisi le risque qu’il pouvait y avoir à laisser se développer ce fossé de dissonance. C’est pourquoi toutes les entreprises du CAC40 et les grandes administrations d’Etat allument des contre-feux, intitulés ‘Responsabilité Sociale et Environnementale des Entreprises’ ou RSE. Selon elles, il s’agit de réfléchir et mettre en œuvre des politiques d’amélioration de leurs impacts sur la société. Pour une société comme Orange p.ex. il s’agira de définir une politique de récupération du plastique des anciennes Livebox ou de limiter la consommation électrique dans les anciens routeurs en les remplaçant par des nouveaux. Il s’agira de mener des études sur la quantité de production de CO2 en vue de les réduire sur un service de diffusion de publicité sur les terminaux mobiles. On l’aura compris il ne s’agit ni de remettre en cause la finalité de l’entreprise ni le fonctionnement de l’économie. La RSE n’est rien d’autre que du greenwashing de bonne conscience. Il s’agit d’optimiser l’usage des ressources pour mieux pouvoir continuer à croître la quantité de biens et services.

Parmi les 800.000 ingénieurs en France, peu jouent un rôle politique, et pour cause, la plupart d’entre eux délèguent la question des décisions et de la responsabilité de leurs actes à des décideurs financiers ou politiques. Dans ce cadre il est peu surprenant que l’individu dissonant se sente dépassé par des décisions qui ont un impact social fort.

L’auteur évoque alors le rôle politique que le contenu du travail revêt. Ainsi l’ingénieur participe à la technologisation de la société dont le corollaire est la difficulté à partager les connaissances et la gestion des affaires qui concernent le monde pour la laisser entre les mains d’experts.

Nos sociétés occidentales sont traversées par l’idée que la technologie serait neutre politiquement. Les objets technologiques seraient de simples outils dont les effets sociaux dépendraient de l’usage qui en est fait. Pourtant l’impact de l’usage de ces technologies sur nos modes de vie est réel car les techniques façonnent nos champs d’action :

ð  il est ainsi plus facile de fabriquer des faux papiers sous Vichy en 1943 que de falsifier un passeport biométrique de nos jours. Le développement du transport maritime international et l’usage d’énergie fossile associée aura permis que notre alimentation dépend aujourd’hui de céréales cultivées en Ukraine et nos soins de médicaments développés en Inde. Aujourd’hui le développement des infrastructures de l’industrie automobile rend l’usage de la voiture absolument incontournable, l’existence de déchets nucléaires ultimes…etc… fait que chaque génération hérite d’un système socio-technique existant, fondateur d’une organisation sociale particulièrement complexe à détricoter. Une révolution sociale en 2023 serait donc radicalement différente de celle de 1936, car les structures socio-économiques sont radicalement différentes.

Le paradoxe c’est que toutes ces évolutions technologiques issues de l’innovation et de la recherche n’ont fait l’objet d’aucun débat démocratique.

Dans les chapitres suivants, l’auteur s’attache à décrire des traits de personnalité propres aux ingénieurs qui permettraient d’expliquer à la fois leurs dissonances mais aussi les freins à la désertion. Intéressant, surtout pour les ingénieurs, mais très long.

Dans le chapitre ‘l’identité de l’ingénieur’, l’auteur indique que pour amener l’ingénieur à « dissoner » il faut le questionner sur le sens, la finalité de son travail. Quelles sont les causes des problèmes qu’il est censé résoudre, quelles sont les nouveaux problèmes engendrés par les solutions qu’il développe ?

L’auteur cite un historien américain des techniques, David Noble qui dans America in Design résume en 1977 sa pensée par « l’histoire de la technologie est indissociable de l’essor du capitalisme » il parle alors de « technocapitalisme » car pour lui la dynamique du capitalisme est intrinsèquement liée à l’innovation technologique. David Noble n’affirme pas seulement que le développement de l’industrie génère un ordre social qui renforce les rapports de domination, il dit que les ingénieurs sont les acteurs principaux de cette dynamique sociale, car ils seraient selon lui imprégnés des idéologies de la classe dominante. Ainsi, David Noble suggère que n’importe quel produit développé par un ingénieur incarnerait une idéologie qui renforcerait les rapports de domination dans la société.

ð  Le propos de David Noble ne prouve rien, c’est une tautologie. Dans une autre société, les ingénieurs joueraient un autre rôle social. Il n’y a pas en effet d’idéologie sans rapports sociaux et leurs confrontations. Dans une société égalitaire, les connaissances scientifiques seraient partagées et vulgarisées, les sujets de recherche et d’innovation soumis au contrôle démocratique, et la question du développement ou non des produits associés serait débattu en fonction du gain social qui en ressortirait.

Dans le chapitre suivant ‘une question d’argent’, l’auteur se demande pourquoi il y a aussi peu d’ingénieurs déserteurs alors qu’il y aurait une multitude d’ingénieurs dissonants. La réponse la plus rapide consisterait à dire que ceux-ci ne pourraient que difficilement renoncer à un relatif confort bourgeois. La plupart des dissonants nous dit l’auteur sont pourtant les premiers à demander des temps partiels et à rêver de sobriété heureuse en réduisant un peu leur train de vie, qui pour la plupart n’est déjà pas très dispendieux, car l’ingénieur est rarement un flambeur. Olivier Lefebvre nous dit que c’est plutôt à la société des loisirs sobres et à une forme de tranquillité bourgeoise que l’ingénieur dissonant rechignerait à renoncer, car son niveau de vie lui permet malgré tout d’accéder à des activités de loisirs ou sportives ou vacances à l’étranger… pendant son temps libre qu’il ne pourrait s’offrir dans un autre cadre. L’auteur nous précise alors que selon lui la désertion ne consiste pas tant à changer de métier que de changer de mode de vie. Or, c’est précisément à ce mode de vie que l’ingénieur refuserait de renoncer, car cela impliquerait la fin de la plupart de ces relations amicales, voire familiales, etc… donc à une sorte de mort sociale

L’auteur précise tout de même que les ingénieurs n’appartiennent pas tous à la même classe sociale. Outre la formation d’origine, qui structure particulièrement la représentation sociale au sein de ce corps s’y ajoute le secteur économique où ils travaillent :  un ingénieur dans l’industrie sera forcément perçu comme un encadrant, donc du côté de la Direction, tandis qu’un ingénieur de service informatique pourrait se vivre comme faisant partie d’une cohorte d’ouvriers plus ou moins spécialisés soumis à des objectifs managériaux. Surtout, tous les ingénieurs ne viennent pas du même milieu social, même si les enfants des CSP supérieures et enfants de prof y sont statistiquement surreprésentés. Cela se traduit par des écarts parfois très importants en terme de patrimoine ; qui est, on le sait la principale cause des inégalités en France, bien davantage que les inégalités de salaire : Les ingénieurs font partie des 10% de salariés les mieux rémunérés. Ces 10% gagne en moyenne 2,9 fois plus que les 10% de salariés les moins bien payés. En revanche, les 10% de français les plus fortunés possèdent en moyenne 336 fois plus que les 10% des moins fortunés. On le voit les inégalités de patrimoine sont plus de 100 fois plus importantes que celles liées au salaire. Et les revenus générés par le patrimoine peuvent sans aucun souci permettre à ces 10% les + fortunés de devenir tout simplement rentiers. Il est évident que tous les ingénieurs ne sont donc pas imposés sur la fortune, loin s’en faut ! Les enjeux liés à la désertion ne sont donc pas les mêmes pour ceux qui auront effectués une ascension sociale souvent avec les efforts de leur famille et pour ceux qui peuvent à tout moment se reposer sur un matelas financier et des réseaux familiaux et de classe particulièrement privilégiés.

ð  Ajoutons que pour un dissonant issu d’une famille bourgeoise, la désertion pourrait s’apparenter à un rejet assez facile de sa condition bourgeoise d’origine, une rébellion contre sa classe, finalement sans grand risque, car l’héritage lui assurera tôt ou tard les meilleures conditions de vie.

Dans le chapitre suivant ‘la pensée ingénieur’, Olivier Lefebvre nous dit que parmi les freins à la désertion : la pensée calculatoire, la faculté à chercher à optimiser jusque dans sa vie quotidienne, et la volonté de contrôle jusqu’à la Nature qui est issu de l’esprit de Descartes, incite l’ingénieur à être perméable aux discours scientistes. Le capitalisme dans ce cadre pourrait alors être perçu comme le moins mauvais des systèmes à l’appui d’une pseudo-rationalité défendue par moults experts en efficacité.

L’ingénieur se verrait comme un artisan de l’innovation technologique. A ce stade il convient de donner une définition de la technologie – celle d’un ingénieur. En 1840, Léo Lalanne  : nous dit que la technologie est la« science des procédés par lesquels l’homme agit sur les forces et sur les matières premières fournies par la nature pour les approprier à ses besoins ». L’ingénieur est bien souvent fasciné par les technologies et naïf quant aux aspects sociopolitiques de la technique, pour lui le processus d’innovation est inéluctable. C’est pourquoi il est souvent technologiste et techno-solutionniste : à tout problème exprimé par la société, il va d’abord penser à une solution technique.

Ensuite, Olivier Lefebvre nous indique que les formes de pensée de l’ingénieur clôturent son horizon., car sélectionné pdt ses études sur son aptitude à se soumettre à une charge de travail importante et à accepter des fonctionnements bureaucratiques absurdes ou encore à mettre au point des techniques particulièrement décriées sur le plan social ou environnemental. L’ingénieur est ainsi pris au piège de ses compétences. En effet, en cas de désertion, pour quel secteur d’activité l’ingénieur dissonant pourrait-il mettre à profit ses compétences ? L’absence évidente de réponse à cette question constitue évidemment le principal frein à sa désertion

ð  Et pour cause, il n’est de toute façon pas possible dans le cadre de cette société d’avoir une activité professionnelle rémunératrice qui ne soit pas plus ou moins directement liée au secteur marchand et donc à l’aliénation des ressources naturelles, du vivant et des espaces sociaux.

ð  Le principal point d’achoppement sur lequel buttent les ingénieurs qui refusent de voir la réalité en face est le suivant : le capitalisme détruit la planète. Il ne peut donc pas exister dans ce cadre de solution technique que l’ingénieur puisse apporter et qui permettrait de résoudre ces problèmes politiques.

Ainsi, l’auteur précise que quand il a cherché à déserter le secteur de la robotique, il s’est rapproché d’entreprises au cœur d’enjeux contemporains d’agriculture et de développement durable. Il lui a apparu que les projets portés par ces entreprises étaient évidemment pilotés par les logiques de marchés, les éloignant de leurs objectifs – qui étaient sur le papier- vertueux.

Certains – pas exclusivement ingénieurs d’ailleurs-  estiment que la seule et unique façon de transformer la société serait de changer les choses de l’intérieur, dans les institutions publiques ou privées, pour influencer les comportements, les décisions et stratégies.

Pour l’auteur, ce récit du changement de l’intérieur du système n’est qu’un prétexte pour permettre aux ingénieur d’atténuer leur dissonance. Il conteste la notion d’efficacité mise en avant par leurs promoteurs qui affirment que leur position leur permet de peser sur les décisions. C’est le cas du groupe d’ingénieur de polytechnique dénommés les « infiltrés » qui dénoncent depuis l’intérieur les rouages des grands groupes et des administrations. Pour l’auteur, si ce travail est méritoire il n’est en rien un gage d’efficacité, car s’ils souhaitaient être plus efficace, ils s’engageraient en politique et il cite en exemple la philosophe et militante Simone Weill morte à 34 ans au prix de moults sacrifices, par exemple elle mangeait très peu car cela lui semblait indécent de manger alors que d’autres mourraient de faim.

ð  Cet exemple maximaliste n’est en rien déterminant, on ne peut pas demander à tout le monde d’adopter du jour au lendemain une structuration mentale digne des martyrs de la religion chrétienne. L’auteur mélange ici l’engagement militant, certes limité chez les ingénieurs et l’abnégation.

En revanche il est évident qu’un engagement militant franc et durable contre le système aurait certainement des conséquences sur la carrière de ces « infiltrés », qui naturellement n’entendent pas renoncer à leur condition bourgeoise.

XXXXXXXXXX APRES LA CONCLUSION DE L’OUVRAGE JE PARLERAIS SPECIFIQUEMENT DES MOYENS D’ACTION DISPONIBLES POUR LES TRAVAILLEURS XXXXXXXXXXXX

Dans le chapitre « se soumettre pour être libre », il est écrit que l’ingénieur dissonant n’imagine pas qu’il puisse exister une autre forme de liberté que celle offerte à l’intérieur de sa cage dorée. L’apparente obéissance heureuse de l’ingé, assimilable à la servitude volontaire serait basée sur l’équilibre délicat entre le travail et les loisirs. La dissonance cognitive viendrait remettre en cause cet équilibre instable.

Dans le chapitre « la servitude volontaire », Olivier Lefebvre écrit que « mener son existence dans une cage dorée n’est pas une nécessité de la condition humaine, c’est une contingence choisie, tout comme les asservissements qu’elle implique et qui font de la « liberté » vécue dans le cadre limité de la cage le salaire de son aliénation ».

ð  D’un point de vue matérialiste, c’est tt à fait discutable. Qu’est-ce que le choix dans une société divisée en classes ? Les degrés d’aliénation et d’exploitation entre un ouvrier et un ingénieur sont certes différenciés mais réels. Si la société forme des ingénieurs pour être obéissants, ils deviennent obéissants. Et comment en serait-il autrement puisque le capitalisme a besoin de cette obéissance. Encore une fois, un individu n’a pas de pouvoir dans cette société, seul le groupe constitué en un a.

 

Dans le chapitre ‘l’éthique de l’ingénieur’, Olivier Lefebvre fait un parallèle entre l’ingénieur qui a conscience de nuire mais qui parvient à ce que cette mauvaise conscience ne l’empêche pas de vivre grâce à divers procédés, et Eichmann qui ne disait être qu’un exécutant de la politique du 3° Reich – cité par Hannah Arendt avec son concept de banalité du mal. L’auteur tacle ainsi le cynisme et la mauvaise foi, poison terrible de nos sociétés, qui en sape les bases éthiques. Il faut selon lui des individus qui assument leur liberté.

ð  Individuellement dans un système totalitaire comme l’entp, le seul moyen d’échapper au cynisme et la mauvaise foi, c’est de sortir de son isolement et de se regrouper avec d’autres opposants pour créer un groupe de pression, comme le syndicat le permet.

Dans un autre chapitre, Olivier Lefebvre tente un descriptif de ‘l’aliénation en entreprise’. Il précise que déjà du temps de Marx, le travail devenait une activité abstraite détachée de sa finalité concrète. De nos jours, en particulier dans les emplois de cadre et d’ingénieur, cette aliénation s’est renforcée. Selon Lefebvre, qui invoque volontiers Guy Debord, l’aliénation des individus n’est pas principalement exercée par d’autres individus qui exerceraient directement un pouvoir sur eux sous une forme coercitive., mais les formes de domination seraient devenues impersonnelles, résultat de contraintes dans le système économique –la concurrence du marché- et d’organisations ou institutions (entp, administrations, institutions supra nationales…) sur lesquelles les individus n’ont guère de prise…. Selon l’auteur, on occulte la majeure partie du mécanisme d’aliénation au travail si on ne parle que de l’organisation du travail avec des directeurs qui dirigent et des exécutants qui exécutent. Poussant plus loin le raisonnement, il affirme que les « individus ne sont pas aliénés parce qu’un chef les commande, ils le sont parce qu’ils participent à un spectacle dans lequel qq1 est censé commander ».

Cette division des responsabilités dans l’entp a comme conséquence une déresponsabilisation de ses acteurs et in-fine un désintérêt pour la finalité de son travail.

ð  C’est qd mm pousser un peu loin le raisonnement. Toutes les entreprises sont en effet organisées de façon hiérarchiques, on parle de N+1, +2, etc… Au plus haut niveau, le Patron ou Directeur général prend ses directives des actionnaires lors de leurs AG, décisions qu’il fait valider et exécuter au conseil d’administration de l’entp. Tous les salariés y compris ingénieurs passent tous les 6 mois ou tous les ans devant leur manager N+1 pour se faire exposer les nouveaux objectifs pour le semestre à venir, et pour se faire évaluer l’atteinte des objectifs passés. Souvent une partie non négligeable de leur rémunération en dépend… On le voit, il existe bien un pouvoir de décision supérieur ! On ne donc peut pas affirmer que l’entp c la démocratie et que les individus n’y sont pas libres uniquement parce qu’ils ne le veulent pas. Les individus ne peuvent se libérer de ces mécanismes d’aliénation individuelle mis en place par l’entreprise qu’en s’organisant collectivement – ce qui se traduit par un engagement syndical en entreprise.

 

 

 

 

Le trop court et finalement le plus politique des chapitres du livre est celui de Conclusion. Il se n’ouvre pas une citation de 1934 d’Einstein « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire »

A raison, Lefebvre nous dit que son incitation à ce que les ingénieurs sautent individuellement dans l’inconnu de la désertion n’est pas de nature à créer un mouvement collectif qui deviendrait vecteur de transformation sociale. Il complète donc son propos en questionnant d’une part la possibilité d’une généralisation du mouvement de désertion et d’autre part la nécessité de le politiser pour lui donner une capacité de changement social. Pour lui cela passe par 2 stratégies : rendre insupportable l’intérieur de la cage, et rendre désirable l’en-dehors de la cage.

Pour réaliser la première stratégie, il faut documenter davantage les dégâts directement liés à leur activité et réfuter les arguments des supposés bénéfices que leur activité apporterait, c’est-à-dire dynamiter la légitimité de l’innovation technologique. Il faut également écailler la peinture dorée des barreaux des cages. En extrapolant les travaux de Piketty, il s’agirait de s’attaquer à la bourgeoisie. Piketty parle des 1% les plus riches comme étant les dominants, puis les 9% suivants comme étant la classe aisée. Lefebvre dit qu’il faut affaiblir ce groupe social en taxant la bourgeoisie et lui supprimer ses avantages fiscaux tout en s’attaquant aux ultra-riches, les 0,1 ou 1% selon les définitions. Selon l’auteur, s’attaquer à cette catégorie sociale permettrait de déstructurer en profondeur ce qu’il appelle le techno-capitalisme. La gauche est frileuse pour s’attaquer à la petite et moyenne bourgeoisie pour des raisons électorales et préfèrerait s’attaquer aux multinationales et aux ultra-riches qui échappent à l’impôt. Pour Lefebvre il faut au contraire accentuer les attaques contre ces 10% qui sont les garants du statu-quo.

Ensuite pour rendre désirable l’extérieur de la cage, l’auteur propose de brosser à gros traits des extérieurs possibles : il ne s’agit pas pour lui de proposer de vivre seul ou en groupe en autarcie pour déserter le système ou la société, mais déserter de la condition bourgeoise. Il s’agirait de réactiver le concept de « refus de parvenir » de l’anarchiste Albert Thierry au début du 20°. Il s’agit aussi de déserter d’une situation d’impuissance politique : comme l’ingénieur ne peut pas changer le monde comme il le désire, il va pouvoir recouvrer des moyens d’action politique.

Pour Lefebvre , citant la sociologue Genevieve Provost, les modes de vie alternatifs sont fondateurs d’agir politique : les activités de subsistance quotidiennes s’insèrent dans un projet politique de réappropriation collective des moyens de vie. Il incite les ingénieurs à prendre conscience que d’autres modes de vie sont possibles, et qu’il existe des portes de sortie, les invite à prendre part à un chantier participatif, s’inscrire dans des formations dans d’autres domaines, à s’engager dans des collectifs en lutte sur un territoire contre un grand projet inutile imposé, etc… Pour l’auteur, ces moments de vie partagés ont autrement plus de valeurs transformatrices que la simple lecture d’un livre, car ces moments partagés activent nos affects, nos sens, qui seuls peuvent inciter à tenter le cheminement de la désertion.

Pour autant, Lefebvre ne veut pas romantiser l’en-dehors et les alternatives, qui souvent éludent certains aspects matériels problématiques. Il pense ici aux dépendances structurelles inhérentes au système capitaliste. Les alternatives évoqueront volontiers comment cultiver son jardin sans pesticide, mais n’émettront pas de proposition politique pour résoudre collectivement notre dépendance à la voiture et aux énergies fossiles. Comment parler d’autonomie alimentaire dans un monde sans pétrole ? Comment prépare-t-on des confitures si on n’a pas de sucre produit sans pesticide ? Comment se chauffe-t-on au bois si on n’évoque pas l’essence nécessaire dans les tronçonneuses ou les camions de transport de grume ?

Lefebvre cite alors Jérôme Baschet (dont nous avions causé au local il y a 2 ans), qui évoquait les stratégies interstitielles qui visent à augmenter la taille des failles des structures sociales en dehors de l’Etat. Elles constituent selon le sociologue marxiste Erik Wright l’un des 3 sommets d’un triangle des stratégies de luttes avec les stratégies de rupture (voie insurrectionnelle pour défaire le capitalisme) et les stratégies symbiotiques (luttes au sein des institutions de l’Etat pour augmenter le pouvoir d’agir). Lefebvre précise que dans cette théorie la question technique est globalement impensée. Les alternatives peuvent améliorer le niveau d’autonomie matérielle et politique, sortes d’espaces d’expérimentation à l’autogestion qui peuvent servir de refuges pour déserteurs. Pour autant comme le dit d’ailleurs l’Atelier paysan que nous avions fait venir au local la commune, « nos alternatives ne sont pas un projet politique ». La multiplication des alternatives ne finira pas par emporter la société derrière elles, car elles ne sont pas un projet politique. Leur existence même repose sur les structures du techno-capitalisme, elles ne peuvent donc pas le dépasser.

Pour Lefebvre, en parallèle au développement des alternatives, il convient donc d’inventer et développer un système technique qui soit compatible avec des modes de vie soutenables. Il s’agit ici des low-techs. Aujourd’hui nous dépendons d’un système technique socialement et écologiquement insoutenable dont la complexité est une source croissante de vulnérabilité. Certaines de ces dépendances sont devenues vitales, comme l’alimentation dans nos sociétés industrielles, qui dépend de l’engrais et de la mécanisation, donc du pétrole. On ne peut imaginer se défaire du jour au lendemain de ces dépendances intimement liées à nos modes de vie. Il convient donc de se défaire progressivement de toute cette complexité et démanteler les pans insoutenables de nos dépendances techniques. Il faut donc adopter une approche systémique pour d’abord analyser quantitativement ces dépendances pour mettre au jour les flux physiques et matériels qui irriguent nos sociétés pour ensuite déterminer quelle trajectoire de société est possible et à quelle échéance : avec quel système technique, pour quels modes de vie soutenables ? La structuration en ilot de Jérôme Baschet et les alternatives buttent sur cette question politique cruciale.

Lefebvre propose donc de matérialiser le romantisme des alternatives. Le projet politique doit viser à se réapproprier collectivement la question technique avec à l’esprit nos dépendances matérielles.  Evidemment le greenwashing du technocapitalisme est à 180° de cette proposition. Il faudra inventer un système technique qui permette des sociétés soutenables et désirables. Les capitalistes ne le feront pas pour nous. Il faut donc collectivement se réapproprier la question technique à commencer par les domaines vitaux.

La démarche Low-tech constitue une réactualisation de différentes idées autour des techniques conviviales. Elle se propose de penser la technique dans ses effets environnementaux et sociopolitiques. La mise en œuvre d’un système low-tech nécessite des étapes intermédiaires car on ne peut pas changer un système technique en une seule opération. Une première étape serait d’enclencher une « bifurcation industrielle » qui consisterait à ne produire que ce dont nous avons réellement besoin (ce qui implique une discussion démocratique sur la définition de ces besoins) mais aussi de changer l’échelle et l’organisation de la production industrielle. En effet on ne peut pas dissocier la fin des moyens, et si le techno-capitalisme est évidemment capable de produire une multitude d’objets low-techs, il ne peut en rien faire advenir une société soutenable.

Une industrie « low-tech » doit donc s’orienter vers les principes d’organisation coopérative de l’économie sociale et sortir des principes productivistes. Il s’agit de s’organiser collectivement à des échelles rendant possible l’autogestion pour produire et commercialiser les produits dont on a vraiment besoin.

L’en-dehors dont parle Olivier Lefebvre est donc constitué de modes de vie en rupture avec la condition bourgeoise, et nous dit que les alternatives, en particulier rurales, sont sources d’inspiration. Il faut y organiser une réappropriation collective de la question technique sur la base d’une analyse de nos dépendances matérielles. La première étape de ce projet est la bifurcation industrielle, entre les stratégies interstitielles ou alternatives et les stratégies symbiotiques- le changement de l’intérieur

Il ne s’agit donc pas, ni pour les ingénieurs ni pour le reste de la société de déserter la technique ou le développement technologique, il s’agit de déserter leur mise en œuvre dans le cadre du techno-capitalisme.

Ce début de projet constitue un en-dehors désirable et atteignable que des ingénieurs déserteurs et aventureux pourraient venir habiter et dont l’exploration serait d’un grand intérêt politique

ð  C’est précisément sur la stratégie symbiotique que les organisations syndicales auraient leur revendication à porter, plutôt que de faire confiance au politique comme semble le faire O. Lefebvre.

 

 

 

XXXXXXXXXXXXXXXX

Avis et critiques sur l’ouvrage :

Livre salutaire car il questionne les représentations sociales qu’on a de l’ingénieur, et souhaite inciter les ingénieurs a minima à une réflexion sur leur fonction sociale et les incite à politiser leurs inquiétudes.

Limites si ce n’est angle mort crucial de l’analyse de l’auteur : les ingénieurs sont des travailleurs comme les autres, mieux payés certes donc membres de la petite bourgeoisie mais qui ne sont pas destinés advitam eternam à laisser les clefs de la maison à la très grande bourgeoisie responsable du désastre.

Quand Olivier Lefebvre dit des ingénieurs qu’ils sont au service du devt du capitalisme industriel, on pourrait dire la mm chose de l’ensemble du corps social. Il n’y a pas de spécificité de l’ingénieur sur ce point.

La critique formulée peut être faite dans le cadre des structures de lutte du monde du travail. L’auteur ne parle pas des luttes du monde du travail et ne fait pas le lien entre la condition salariale et celle de l’ingénieur, lui aussi soumis à la pression salariale.

Le syndicalisme révolutionnaire, pour cette catégorie professionnelle comme pour les autres, est évidemment une solution de lutte au quotidien et à l avenir pour permettre à ceux qui doutent et à ceux qui depuis bien longtemps ont passé ce cap de s’outiller pour organiser une autre société.

 

Sur la place des ingénieurs dans la société aujourd’hui et demain :

L’auteur caractérise volontiers l’appartenance sociale des ingénieurs comme celle de la bourgeoisie. Cette classe est pourtant stratifiée, et pour ma part je considérerais que la plupart des ingénieurs appartiennent de par leurs revenus salariaux, à la petite bourgeoisie, à l’exception des héritiers, qui peuvent de par leurs origines sociales, faire partie de la moyenne bourgeoisie.

Les ingénieurs sont autour des 10% de salariés les mieux rémunérés, certes, mais il n’en reste pas moins des travailleurs. Des travailleurs qualifiés et bien payés, mais des travailleurs tout de même. Dans une autre société, il y aura besoin d’ingénieurs, surement moins qu’il n’y en a aujourd’hui dans notre société technologiste orientée vers la production de gadgets superficiels, mais il y aura besoin de chercheurs en médecine ou d’ingénieurs de recherche et développement dans la minimisation des conséquences du désastre climatique et dans l’amélioration du quotidien des victimes du désastre.

////////////////// SUR LES MOYENS D’ACTION : qui doit décider de quoi et comment on fait ? XXXXXXX

L’auteur indique qu’autant il est louable de vouloir changer l’intérieur d’un système qui produirait des biens et services comme l’éducation nationale est tout à fait louable, autant vouloir réformer une entreprise ou industrie dont l’objectif est strictement dicté par les impératifs économiques est une illusion dont il est urgent de se défaire. Pour lui la redirection de certains secteurs d’activité est une contradiction insoluble. Il faut envisager d’arrêter ces secteurs, puis les démanteler. L’auteur signifie que dans l’économie capitaliste, les entreprises n’initieront pas cette redirection des secteurs d’activité, seules des contraintes extérieures, politiques ou environnementales, pourraient les y forcer.

ð    A ce stade, je suis en opposition claire avec l’auteur. D’une part, on pourrait citer l’exemple de la voiture électrique. Les plus grands constructeurs automobiles ont maintenant des filières électriques, le nombre de véhicules produit par les grands constructeurs occidentaux n’a cessé de chuter depuis les années 70, simplement le prix moyen du véhicule à fortement augmenté. Un autre exemple est les constructions d’infrastructures d’énergie renouvelables : Total ou EDF s’y sont mis. Les entps peuvent donc « bifurquer » elles aussi cad modifier la finalité de leur production ou les modalités de cette production pour peu que cela soit rentable dans le cadre capitaliste.

ð    Olivier Lefebvre donne l’exemple d’une proposition d’études qu’il a faite dans son entreprise de robotique qui visait à vérifier la compatibilité de leurs sujets de recherche et développement avec les scénarii de transition écologique au niveau national et international. Cette proposition d’études lui a été refusée par son directeur opérationnel au motif suivant : « nos investisseurs ne le réclament pas, nos clients non plus, et les employés ne se préoccupent pas ».: Il est évident que dans le cadre capitaliste, les indicateurs financiers dictent la stratégie, on ne pouvait donc pas attendre de ce directeur qu’il défende un autre point de vue que celui des investisseurs et des clients. Mais le dernier point cité par son directeur est le plus important : « tes collègues ne sont pas sensibilisés au sujet ». N’y avait-il pas là matière pour Olivier Lefebvre à se sentir faire partie d’un tout commun, d’un ensemble de travailleurs en capacité et en légitimité (même son directeur le lui dit !) à renverser le cours des choses ? Une organisation collective des travailleurs aurait pu porter la contradiction et bloquer les projets d’étude robotique inutiles voire néfastes.

ð    Il existe des organisations syndicales des secteurs de l’innovation qui revendiquent une redirection des sujets de recherche vers les low techs, ce n’est pas encore tout à fait la décroissance mais c’est un début

ð    C’est la condition même de travailleur qui définit à la fois la légitimité et les modalités d’action les plus efficace des ingénieurs. Un ingénieur n’est rien sans son travail, à la différence d’un rentier qui vit aux dépens du travail des autres. C’est donc sur la base de cette ambivalence qu’il conviendrait d’amener la contestation sociale au sein des entreprises et administration : les décideurs politiques, financiers, etc… ont besoin des travailleurs, ingénieurs compris, mais nous pouvons nous passer d’eux. Le syndicalisme révolutionnaire offre une voie à la contestation sociale et environnementale dans le cadre de l’entreprise : plutôt que de l’extérieur aller dynamiter des antennes 5G déjà fabriquées avec le risque policier associé, imposons de l’intérieur à nos patrons d’arrêter de nous faire produire ces antennes, et de nous faire faire des recherches sur la 6G ou la 7G. Le syndicat permet à la contestation de librement s’exprimer avec la légitimité de travailleurs de l’intérieur qui ne confondent pas leur intérêt avec celui de leur patron. Et le syndicat doit aussi permettre d’organiser la production future, la décision de commencer, de continuer, de ralentir, ou d’abandonner un secteur de production étant prise par la collectivité constituée de corps organisés de travailleurs et de citoyen de la commune (UN MONDE NOUVEAU, Pierre Besnard)

ð    PLUS GRAVE, l’auteur pense impossible que les travailleurs par eux-mêmes et pour eux-mêmes aient un jour la force de rediriger la société. Il ne l’envisage pas, pour lui, cette volonté de transformation doit venir exclusivement de l’extérieur de l’entreprise et de façon politique, ce qui me semble illusoire dans la mesure où c’est sur le lieu de travail que se génèrent les conflits de classe, et par conséquent leur résolution. L’orientation de la production doit donc se faire en commun accord entre les travailleurs de ces secteurs et le reste de la société. Si l’on veut faire abandonner la production d’armes ou l’extraction de pétrole, il faudra envisager avec les salariés de ces secteurs leur reconversion plutôt que de les y contraindre. En effet ils risqueraient alors dans ce cas de prendre le parti de leur patron, qui pourrait présenter l’activité de l’entreprise comme étant à caractère social et préservant l’emploi, comme si son entreprise était alors une forteresse assiégée par les écologistes. Pour ne prendre que l’exemple de l’industrie nucléaire, cette technologie pose en tant que telle le problème de la gestion à très long terme des déchets par un corps de techniciens et d’ingénieurs spécialisés. On ne peut pas laisser n’importe qui décider si oui ou non il faudra enterrer les déchets ou les retraiter, ou les stocker à l’air libre. Ces décisions doivent être prises en commun, mais surtout, en connaissance de cause, en accord et sous la gestion des travailleurs du nucléaire, qui sont amenés à démanteler les centrales existantes aujourd’hui.

ð    Il est hors de question dans une société libertaire de laisser des travailleurs continuer à produire comme si de rien n’était des produits inutiles ou néfastes, mais il n’est pas non plus question que de l’extérieur à leur centre d’intérêt et moyen de subsistance, une classe politique décide à leur place de ce qu’ils devraient produire. L’anarcho-syndicalisme est une solution à cet apparent dilemme en proposant l’articulation de la défense des intérêts immédiats avec la production de biens communs dans le cadre des luttes réformistes d’abord, ce que les espagnols appelaient la gymnastique révolutionnaire en 1934, pour à terme être en capacité de bâtir un autre système de production de richesses, et s’il le faut après avoir détruit ou recyclé une bonne partie du système de production actuel.

Cela implique que le syndicalisme doit sortir de son pré-carré corporatiste pour reprendre la formule de Pouget « rien n’est étranger au syndicat ». Le syndicat doit proposer comme le dit la charte d’Amiens, une structuration à la société future.

ð    D’une part les travailleurs sont les plus aptes à savoir faire tourner leur machine économique et donc les plus légitimes à décider de l’arrêt ou des changements des modalités de production. D’autre part, le pouvoir se constitue dans notre société sur la création des richesses, captées par une minorité de propriétaires. Cela signifie que ceux qui peuvent peser sur le cours de la société sont les travailleurs, car toute la structuration sociale découle de leur capacité de travail. Dans la charte d’Amiens, le syndicat est un outil de lutte au quotidien, mais aussi l’outil d’organisation de la société de production future. Dans le modèle anarcho-syndicaliste, la société est organisée par fédération de producteurs et de consommateurs. C’est pourquoi la redirection de pans entiers de l’économie ne peut donc se faire qu’avec et par les travailleurs eux-mêmes, ce que sont les ingénieurs.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.