À
la première lecture du projet de loi Macron, on est tenté, comme
beaucoup de médias, de déclarer qu’il s’agit d’un projet de loi «
fourre-tout » où l’on trouve des sujets très diversifiés : conditions
d’examens du code du permis de conduire, réforme des conseils de
prud’hommes, fibre optique, déréglementation des professions
spécialisées en droit ou en chiffre, conditions de recours aux
architectes pour les exploitations agricoles, nouveaux pouvoirs de
l’inspecteur du travail, conditions de publicité de l’Euro foot 2016,
travail du dimanche et en soirée… et j’en passe !
Beaucoup
ont relayé les dispositions particulières aux conditions du travail du
dimanche et en soirée (ne pas oublier ce dernier terme !) ou celles
relatives à la déréglementation des professions du droit et du chiffre
(on a pu voir des avocats, des huissiers et des experts-comptables
défiler !).
Cependant,
une lecture plus approfondie du texte de plus de 500 pages (blabla
politique : 50 pages ; corps juridique de la loi : près de 90 pages ;
études d’impact : 360 pages) permet de se rendre compte à quel point ces
écrits constituent un maillon supplémentaire de la chaîne qui va
emprisonner les salariés, pour lesquels « droits » puis « liberté » déjà
réduits disparaîtront au bout du bout.
Pour
l’instant, les droits des salariés sont regroupés dans le Code du
travail. Les conventions collectives nationales du travail et les
accords collectifs améliorent (souvent) les droits, mais ces textes ne
s’appliquent pas à tous, contrairement au bon vieux code dont il s’agit.
En effet, le contrat de travail est un contrat spécifique conclu entre
deux parties qui ne sont pas égalitaires : le salarié est subordonné au
pouvoir de direction de l’employeur. C’est ainsi que le Code du travail
protège les salariés en définissant, notamment, les règles relatives à
la formation, à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.
Le Code civil ne peut pas et ne doit pas protéger le contrat de travail (ce n’est pas un contrat classique). Mais
c’est pourtant ce que souhaite Macron : que les dispositions du Code
civil s’appliquent au contrat de travail. Voilà encore un coup de pioche
pour enterrer le Code du travail. Bientôt, celui-ci n’aura plus lieu
d’être puisque c’est le Code civil qui s’appliquera.
Par
ailleurs, ce projet de loi Macron, toujours au service des employeurs,
en profite pour corriger certains oublis de la précédente loi « sociale »
du gouvernement Hollande (loi « sur la sécurisation de l’emploi »). Souvenez-vous
de Mory Ducros (novembre 2013) : le plan social le plus important
(France) depuis Moulinex (2001) avait supprimé plus de la moitié de
l’effectif (2 800 licenciés sur 5 000). Ce plan a été retoqué par la
cour d’appel de Versailles en juillet dernier pour plusieurs raisons,
notamment parce que le périmètre retenu pour établir les critères
d’ordre pour choisir les personnes à licencier était plus restreint que
celui de l’entreprise (en gros, l’employeur a établi des critères pour
licencier des salariés qu’il visait particulièrement, au lieu de faire
la comparaison avec tous ceux de l’entreprise).
Or
l’article 98 du projet de loi vise à légaliser l’attitude du patron de
Mory Ducros. Cette disposition réduirait à néant des années de
construction jurisprudentielle (des décisions de juges de 1er degré,
décisions de cour d’appel et décisions de Cour de cassation) qui s’est
établie à force de courage et de pugnacité des salariés licenciés qui
ont refusé de se laisser faire. Macron se débarrasse du droit du
travail. On
pourrait citer d’autres exemples outre ceux à peine développés ici,
tels que la disparition proposée de la peine de prison relative au délit
d’entrave syndicale, etc.
Il
s’agit ici de satisfaire la demande patronale relayée par le
gouvernement Hollande en la personne de Macron, qui n’est pas un inconnu
du grand capital. Devenu millionnaire dans le cadre de son métier de
banquier d’affaires en 2012 (il a négocié le rachat par Nestlé de
Pfizer, 9 millions d’euros, il en gagne 2 à cette occasion), il est
aussi l’artisan du pacte de responsabilité, du pacte de compétitivité et
donc du Cice (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) – qui a
doublé en 2014 1, cela dit en passant. Il a été rapporteur d’une
commission « Attali 2 » commandée par Sarko en 2007 (commission pour la
libération de la croissance française) de laquelle il s’inspire
aujourd’hui pour son projet de loi.
En
même temps, il ne fait que suivre les chemins tracés : la loi dite «
sur la sécurisation de l’emploi » du 14 juin 2013 (suite à l’accord
Medef/CFDT) donnant au patronat une méthode efficace pour réduire « sa
masse salariale » ou la réduire à la précarité la plus totale (mobilité
forcée, baisse de salaire pendant deux ans sous prétexte de crise,
modification de la notion de licenciement économique, etc.).
Ainsi,
les fameux accords de compétitivité commandés par Sarkozy ont été
livrés, par Hollande, aux salariés sous forme d’accords sur la
sécurisation de l’emploi : changement du titre et de quelques lignes par
un vocabulaire « de gauche » suffisent.
Jusqu’où
iront-ils ? Exactement là où nous les laisserons aller ! Nous,
militants anarchistes, devons réagir et agir, informer et former.
Organisons-nous pour que les centrales syndicales soient un véritable
outil pour lutter contre ces politiques (de ce point de vue, ce qui se
passe à la CGT et se qui se passera à FO, congrès en février, ne peut
nous laisser indifférents). C’est compliqué ? C’est difficile, oui. Mais
nous n’avons pas le choix. Construisons le rapport de force nécessaire
pour les faire reculer. Il est urgent d’agir.
Céline
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